Lettres et politique du côté des Mallac
Difficile de trouver l’acte de naissance d’Eloi «James» DEGLOS, dont on a découvert la tombe au cimetière de Montmartre il y a quelques jours, car James est né à Port-Louis en 1837, à l’époque où l’Île Maurice était anglaise. Il faudrait avoir accès aux archives numérisés par les Mormons, qui ne sont accessibles que sur microfilms consultables à… Salt Lake City. Bon. Il faudra se contenter de faire confiance aux dépouillements des registres d’Etat civil réalisés par le Cercle de Généalogie Maurice – Rodrigues (CGMR), qui sont en ligne. En gros : on n’a pas la photographie du registre d’état civil manuscrit, mais un aimable généalogiste amateur a recopié les informations principales.
On apprend donc que le parrain de James est Éloi MALLAC, son oncle maternel, qui lui a transmis l’un de ses prénoms. Et là a commencé l’une de nos plus passionnantes découvertes.

Relevé de l’acte de baptême d’Eloi James DEGLOS (CGMR)
Eloi MALLAC a un CV impressionnant, qu’on déroule comme une pelote de laine en cherchant son nom sur Gallica, le site des archives de la BNF, et sa biographie aux Archives nationales. Né en 1809 à Port-Louis (qui s’appelait à ce moment Port-Napoléon) dans une île Maurice (qu’on appelait à l’époque Isle-de-France) française, il occupe les postes de :
– Attaché au cabinet du ministre de l’Instruction publique (Guizot) de 1832 à 1836
– Chef de cabinet du secrétaire d’État à l’Intérieur en septembre 1836.
– Maître des requêtes en 1837.
– Chef de cabinet du ministre de l’Intérieur Duchâtel de 1839 à 1844.
– Préfet de la Nièvre du 15 juin 1844 au 23 août 1847
– Préfet de l’Hérault du 1er août 1847 à février 1848.
Eloi est fait Chevalier de la Légion d’honneur le 19 février 1840, et Officier de la Légion d’honneur le 20 février 1847. Mais après moins d’un an passé à la préfecture de l’Hérault, il démissionne, âgé de 39 ans. «Il justifie d’infirmités graves, contractées dans l’exercice et à l’occasion de ses fonctions, qui ne lui permettent pas de les continuer», indique un décret signé en 1850 par Louis Napoléon Bonaparte. Eloi MALLAC touche donc une pension annuelle de 3236 francs pour sa retraite. ll se retire dans son château de Changy-les-Bois, dans le Loiret, jusqu’à sa mort le 7 juin 1876.

Le château de Changy-les-Bois, dans le Loiret, en 2007. Photo Jean-Claude Heral
Le «garde particulier» de son château et son cocher sont les témoins de son décès.
Nous avons ensuite un petit mystère à résoudre : Eloi MALLAC est inhumé le 2 septembre au père Lachaise (un nouveau projet de balade à Paris !), soit trois mois après sa mort. Sa dépouille a-t-elle été déplacée depuis un autre cimetière ? A suivre…

Extrait de l’acte de décès d’Eloi MALLAC.
En attendant,on peut découvrir une autre facette de la vie de ce célibataire par le regard des nombreuses personnes qui l’ont côtoyé, apprécié et critiqué. On trouve quelques hommages dans la presse après sa mort.
Et surtout, cette lettre étonnante de son demi-frère François «Albert» MALLAC, homme de lettres, qui prend sa défense pour rétablir sa réputation sur l’île Maurice. Albert MALLAC prend sa plume dans la Revue historique et littéraire de l’Île Maurice, en novembre 1890 :
«Je vois, reproduit dans votre numéro du 3 août, le passage des Mémoires de M. de Pontmartin et qui a trait à mon frère, Eloi Mallac. Tous ceux qui, en France, ont connu mon frère, ont déjà fait justice de cet acte de vengeance posthume et d’insigne mauvaise foi. Voilà pour quoi j’ai dédaigné d’y répondre quand l’article a paru. Mais comme, à Maurice, où l’on est moins au courant de la vie politique d’Eloi Mallac, on pourrait croire aux dénigrements de M. de Pontmatin, je tiens à faire savoir à vos lecteurs d’où provenait cette malveillance de l’auteur des Mémoires vis-à-vis de mon frère. […] M. de Pontmartin voudrait donner à penser que c’est uniquement à ses succès de joli homme qu’Eloi Mallac a dû sa fortune politique. Eh ! bien, il ne fera croire à personne que des hommes comme M. Guizot, le premier en date des hommes politiques de ce temps qui ait distingué Eloi Mallac, au point de se l’attacher comme secrétaire particulier, alors que celui-ci avait à peine 24 ans ; que des personnages tels que Messieurs Molé, Duchâtel, Dumon, Rémusat, le Duc Victor de Broglie, père du Duc Albert de Broglie, Falloux, Vitet, le Père de Ravignan, Monseigneur Dupanloup, le Cardinal Donnet, Louis Veuillot, et tant d’autres que j’omets, ne pouvant les nommer tous, n’aient été séduits que par la beauté de l’homme, lorsqu’ils faisaient de lui leur ami, et bien souvent leur conseiller très-écouté, —j’ai tout un recueil de lettres autographes qui le prouvent— et qu’ils lui confiaient la direction de leur parti, puisqu’ils mettaient entre ses mains le journal qui était l’organe de ce parti.»
Ainsi donc, c’est grâce à sa belle gueule qu’Eloi a fait carrière en politique ? Albert se fait un plaisir de dénoncer la jalousie de ce M. de Pontmartin en le contre-attaquant sur son physique («il était l’homme le plus laid et le plus disgracié de France», et «ajoutez à cet extérieur peu séduisant une voix de crécelle») tout en racontant une anecdote sur son demi-frère, le bel Eloi – anecdote people qu’on a retrouvé dans plusieurs journaux de l’époque :
«Eloi Mallac, « c’est le fils de Paul et Virginie.” La plaisanterie n’est pas de Veuillot. Elle est de Prosper Mérimée, et voici dans quelles circonstances elle a été faite. C’était à un bal des Tuileries, sous le règne du Roi Louis Philippe. Eloi Mallac causait avec Mérimée. Quand ils se séparèrent, la Marquise de B. fit signe à Mérimée de s’approcher.
— » Qui est, lui dit-elle, cet homme charmant avec lequel vous causiez tout à l’heure ? ”
Mérimée était de l’école de ces mystificateurs dont Romieu fut le chef.
— » Comment ! répondit-il, vous ne savez pas qui c’est ? «
— » Mais non. «
— » Vous êtes donc la seule à l’ignorer : c’est M. Mallac, le fils de Paul et Virginie.”
“Que me dites-vous là ?” reprit la dame ; “c’est impossible, puis que vous savez bien que Virginie est morte, noyée, en revenant à l’île de France !…”
Mérimée lui bâtit alors je ne sais quel roman d’un enfant que les jeunes gens, dans leurs ébats primitifs, à la façon de Daphnis et Chloé, auraient eu avant le départ de Virginie pour la France… que c’était même la naissance de cet enfant qui avait motivé le départ précipité de Virginie, etc., etc , bref, que M. Mallac était le fruit de cette faute – beau comme tous les enfants de l’Amour.
« Présentez-le moi, je vous en prie”, demanda la Marquise, fort attendrie par ce récit.
Mérimée alla chercher Mallac. La présentation faite, il s’esquiva.
« Ah ! soupira la Marquise, que je suis heureuse, Monsieur, de faire votre connaissance ! Que de larmes j’ai versées sur le sort de vos infortunés parents, de votre mère surtout! ” Mon frère n’y comprenait rien. Et la dame continuait à s’apitoyer sur la fin malheureuse de cette héroïque jeune fille, jeune femme, reprenait-elle, qui avait sacrifié sa vie à sa pudeur. Mallac ne savait que répondre, croyant avoir affaire à une folle, lorsqu’il aperçut Mérimée, qui, assistant de loin à cette scène, se tordait de rire. Il devina le tour que lui jouait l’auteur de Colomba, et continua la conversation en laissant à la sensible Marquise toutes ses illusions.
J’ai bien souvent entendu raconter cette histoire par mon frère et par Mérimée lui-même, lors des réunions qui avaient lieu, vers quatre heures, au Ministère de l’intérieur, dans ce fumoir où Alfred de Musset, que Mallac avait fait nommer Bibliothécaire du Ministère, une sinécure destinée à lui donner au moins de quoi vivre, où Musset, dis-je, venait chaque jour s’asseoir, triste et rêveur, préoccupé sans doute de quelque billet à payer, ou d’une trahison de sa muse du moment, bas-bleu, grande dame, ou lorette : George Sand ou Louise Collet ? la Princesse de Belgiojoso ?
Céleste Mogador ou Pomaré ?»
Albert MALLAC a droit à de beaux hommages aussi, à sa mort en 1903. Ici une page du numéro de La Revue du bien dans la vie et dans l’art :

« La Revue du bien dans la vie et dans l’art », juillet 1903.





