🎵 Durin Durin 🎵
Pardon pour le titre. J’aurais aussi pu Ă©crire « Turin Durin », ou « Turin Turring », ou « Turing Turreng », puisque tout ça, c’est pareil ! Kif kif bourricot. Du moins pour les officiers d’Ă©tat civil de Phalsbourg au XIXe siècle.
Tango Delta
Il y a des annĂ©es, quand j’ai commencĂ© la gĂ©nĂ©alogie sans avoir accès aux archives de la Moselle (qui n’Ă©taient pas encore en ligne), je me suis rapidement trouvĂ©e bloquĂ©e dans la branche des DENÉ originaires de Phalsbourg. J’avais vu que Nicolas DENÉ (nĂ© en 1821, le grand-père d’Émile) Ă©tait mariĂ© Ă une certaine Madeleine TURIN. Avec un T, bien situĂ© entre le S et le U dans les tables dĂ©cennales. Et je m’Ă©tais arrĂŞtĂ©e lĂ .
Quand j’ai repris les recherches cette annĂ©e avec l’accès aux registres numĂ©risĂ©s et donc aux actes de naissances, de mariage et de dĂ©cès, j’ai vu que c’Ă©tait beaucoup plus compliquĂ© que ça ! Le père de Madeleine s’appelle Jacques TURIN quand il se marie en 1820. Mais sur son acte de dĂ©cès, il s’appelle Jacob DURIN. Je me dis que la confusion doit ĂŞtre facile Ă l’oral, surtout Ă Phalsbourg oĂą on parle patois avec une distinction pas toujours claire entre le « d » et le « t » (voir la prononciation de Pappadeckel par exemple, le carton).
La fratrie aux cinq graphies
Mais ce n’est pas juste une question de d/t. J’ai creusĂ© un peu la fratrie de cette Madeleine TURIN. Ils ont Ă©tĂ© au moins huit. Voici la graphie de leurs noms tel qu’Ă©crite sur les actes de naissance :
- Madelaine TURIN (née en 1821)
- Marie Anne TURRENG (1823)
- Catherine TURING (1825)
- Mathieu TURRENG (1827)
- Elisabeth TURRING (1829)
- Barbe DURING (1833)
- Christine DURING (1833)
- Christine DURING (1834)
Ce sont bien les enfants des mĂŞmes parents – le père Jacques et la mère ThĂ©rèse HUNTZINGER. C’est juste que le maire et officier d’Ă©tat civil Ă©crit ce qu’il entend de la bouche de ce cher Jacques Ă chaque fois, et que le rĂ©sultat est variable selon la mĂ©tĂ©o, l’alignement des astres et selon qu’il s’est lavĂ© les oreilles le matin sous la douche ou pas. Le maire ne demande peut-ĂŞtre pas Ă Jacques d’Ă©peler son nom. Ou peut-ĂŞtre aussi que Jacques n’est pas bien sĂ»r de comment ça s’Ă©crit. Pourtant, il sait signer. Et je crois dĂ©chiffrer dans sa signature en pattes de mouches qu’il Ă©crit « TURRING » ou « TURRENG », en tout cas avec un T.
Le plus Ă©tonnant pour moi n’est pas que la graphie est approximative et sente la retranscription orale. Je l’ai dĂ©jĂ constatĂ© souvent (les actes d’Ă©tat civil sont bourrĂ©s de fautes et d’Ă peu près dans l’orthographe des noms). C’est qu’on ne soucie mĂŞme pas, Ă l’Ă©poque, de garder une cohĂ©rence entre des frères et sĹ“urs qui naissent tous les deux ans. Avec 8 enfants, on arrive Ă avoir 5 orthographes diffĂ©rentes.
La naissance du livret de famille
Ça peut filer de l’urticaire aux rigoureux citoyens du XXIe siècle que nous sommes. Mais un peu de remise en contexte ne fait pas de mal. Le journaliste et gĂ©nĂ©alogiste Jean-Louis Beaucarnot, qui Ă©crit plusieurs livres sur les noms de famille, rappelle dans l’un d’eux que «les noms de famille n’ont jamais eu d’orthographe, et ce en gros jusqu’à la crĂ©ation des livrets de famille (vers 1890) et mĂŞme, en fait, jusqu’à la gĂ©nĂ©ralisation de l’alphabĂ©tisation, au dĂ©but du XXe siècle. Il en rĂ©sulte que, deux frères ont fort bien pu voir leur nom orthographiĂ© diffĂ©remment sur leur acte de naissance (Dupont et Dupond, DesprĂ©s et DĂ©prez…), comme il arrivera frĂ©quemment au gĂ©nĂ©alogiste de voir un mĂŞme nom de famille orthographiĂ© de trois façons diffĂ©rentes dans le corps d’un mĂŞme ancien acte de mariage ou de naissance.»
Les dĂ©buts du livret de famille datent plus prĂ©cisĂ©ment de 1877. Six ans après les incendies de la Commune de Paris qui ont fait disparaĂ®tre en fumĂ©e tout l’Ă©tat civil parisien, on a mis en place ce principe crucial pour tout archiviste qui se respecte : toujours crĂ©er plusieurs copies conservĂ©es en plusieurs lieux diffĂ©rents. En l’occurrence, consigner une copie des actes de naissance et de dĂ©cès dans un livret confiĂ© Ă chaque famille si elle le souhaite (le livret de famille est facultatif).
La circulaire de Jules Simon – prĂ©sident du Conseil et ministre de l’IntĂ©rieur – 18 mars 1877 prĂ©cise l’idĂ©e : «les livrets de famille constitueront en quelque sorte un troisième dĂ©pĂ´t des actes d’Ă©tat civil confiĂ© Ă la garde des intĂ©ressĂ©s et seront une source de renseignement prĂ©cieux pour le cas oĂą les registres viendraient Ă ĂŞtre dĂ©truits. De plus, en se reportant au livret pour la rĂ©daction de chaque acte nouveau intĂ©ressant la famille, on Ă©vitera les erreurs qui se glissent trop frĂ©quemment dans l’indication des prĂ©noms ou l’orthographe des noms et prĂ©noms.»

Un livret de famille parisien de 1948. Image Laubrière, CC BY SA
Et de mon cĂ´tĂ©, je reste avec une question : comment j’Ă©cris ce nom de famille dans mon arbre gĂ©nĂ©alogique ? Est-ce que je dĂ©crète que l’acte de naissance fait foi et je donne une graphie diffĂ©rente Ă chaque membre de la famille ? Ce serait donner Ă cet acte plus d’importance qu’il n’en avait Ă l’Ă©poque. Pour l’instant, j’ai mis « TURIN » partout, parce que le T en dĂ©but de nom est majoritaire dans les actes que j’ai croisĂ©s, et que la fin en « IN » est la plus simple Ă Ă©crire.


